Le Carême

pompiersEn quelques minutes, en un clin d’œil, ils se sont harnachés et ils dévalent par tous les escaliers. En un instant, ils sont sur leurs voitures… Pin… Pon ! Pin… Pon ! Les échelles se dressent, les tuyaux se déroulent, les lances sont en batterie…

C’était un jeudi, nous étions allés avec un groupe d’enfants visiter une caserne de pompiers et nous assistions à un exercice d’incendie… Tous ces jeunes pompiers en mettaient un coup pour éteindre un incendie imaginaire qui était censé envahir tous les immeubles environnants. Ils déployaient tous des prouesses d’agilité et de courage, n’hésitant pas à prendre des risques pour monter à l’assaut des fenêtres et même de la toiture !

S’il y avait eu là un de nos contestataires d’aujourd’hui , il se serait bien « marré », selon leur expression, en disant : « Qu’est-ce qu’ils sont bêtes, ces pauvres gens, il n’y a pas de feu… il n’y a pas d’incendie ! Pourquoi se donner tant de mal pour des prunes ? »

Cependant après l’exercice, nous nous sommes retrouvés quelques instants avec le capitaine qui avait commandé la manœuvre et il n’eut pas de difficulté à faire comprendre aux enfants que cet exercice était indispensable pour que ses hommes ne soient pas pris au dépourvu lorsqu’ils auraient à éteindre un véritable incendie, pour que chacun soit déjà bien entraîné, pour que chacun sache bien ce qu’il avait à faire, car alors il s’agirait de maîtriser le feu et de sauver des vies humaines !

Le Carême, pour les chrétiens, c’est le temps de l’entraînement, c’est le temps des grandes manœuvres !

Au fait, professons-nous aujourd’hui la même religion que Jésus-Christ ? Il est dit dans les évangiles que Jésus a commencé son ministère par une retraite de quarante jours au désert durant lesquels il a prié, il a jeûné, il a été tenté !

Il a prié durant quarante jours !…

Il n’y a pas si longtemps sortait une feuille émanant de milieux ecclésiastiques et qui ne craignait pas de reprendre, en l’amputant, une recommandation du Seigneur : « Veillez et priez ! ». Dans cette feuille on disait : « Prier aujourd’hui, c’est dépassé, mais il faut veiller, c’est-à-dire être attentifs aux problèmes qui se posent. » Ah… ! Je pense que lorsque le Seigneur faisait cette recommandation à ses Apôtres au soir de l’agonie au jardin, elle voulait dire : « Veillez pour prier ! » C’était assez différent ! Et aujourd’hui ces « messieurs » pensent que l’homme devenu majeur n’a plus besoin de l’aide de Dieu et qu’il est assez grand pour être attentif aux problèmes et aussi, je pense, pour les résoudre lui-même ! Jésus pensait et agissait tout autrement. Chaque fois qu’il a une décision importante à prendre, chaque fois qu’il a un problème à résoudre, il part au désert pour prier, il passe la nuit en prière. Lorsqu’il devra choisir ses Apôtres et que de ce choix dépendra tout l’avenir du christianisme, Jésus, nous dit Saint Luc, passera toute la nuit en prière (St Luc, ch.6, v.12-13). Le jour où il demandera à ses Apôtres de faire leur Profession de Foi : « Qui dites-vous que je suis ? », le même Saint Luc note que c’était un jour où Jésus s’était retiré à l’écart pour prier (Saint Luc, ch.9, v.18). Saint Jean (ch.6, v.15) note qu’à la veille du jour où Jésus va parler pour la première fois de l’Eucharistie, à la veille de ce discours sur le « pain de vie » qui va trancher entre ses disciples, entre ceux qui le croiront jusqu’au bout et ceux qui tourneront les talons, Jésus se retire, seul, dans la montagne… A la veille de sa Passion, Jésus passera de longues heures à prier au jardin d’agonie !

Etre vigilants, certes ! Mais prier, prier pour que le Seigneur ouvre nos yeux pour mieux voir, prier pour qu’Il nous donne la force. Ne croyez-vous pas que pour « être » à l’image de Jésus-Christ pour être vraiment chrétien, nous aurions à nous entraîner, plus particulièrement durant ce temps de Carême, à prier… pour en prendre l’habitude ?

Et dans le désert Jésus a jeûné durant 40 jours et 40 nuits !… C’est d’autant plus surprenant, avouons-le, que Jésus n’avait aucune des deux raisons que nous pourrions apporter pour justifier le jeûne : il n’avait, d’une part, aucun mauvais penchant à combattre, d’autre part il n’avait aucune faute personnelle à réparer, à expier. Oui, mais il voulait nous entraîner ! Alors, c’est bien là que l’on se gausserait ! Jeûner !… Est-ce qu’on peut concevoir que l’on jeûne aujourd’hui ?… Peut-on concevoir aujourd’hui que l’on se refuse une satisfaction que l’on peut facilement se procurer ?… Peut-on concevoir que l’on s’impose des renoncements, des sacrifices surérogatoires, artificiels, alors que l’on a déjà tant de mal à admettre que le Seigneur nous demande certains renoncements ?…

Là encore, il n’y a pas si longtemps, sortait de chez des éditeurs catholiques un livre intitulé : « A bas la morale du devoir, vive la morale du plaisir ! » C’est un peu différent de ce que fait le Christ. Tout dépend au fond de la conception que l’on se fait de la vie chrétienne. Si vivre en chrétien c’est vivre uniquement avec son corps, alors d’accord ! Mais si vivre en chrétien c’est devenir quelqu’un, si vivre en chrétien c’est mettre à son bord un commandant, quelqu’un qui dirige la barque d’après sa raison, d’après ce qu’il a jugé être le mieux, le plus beau, le plus exaltant, alors il y a peut-être intérêt à s’entraîner, là aussi, à la manœuvre ! Parce que, figurez-vous, si quelqu’un s’est toujours laissé entraîner au gré des flots, au gré de ses passions, de ses impulsions premières, s’il a toujours suivi ses caprices, s’il a toujours fait ses quatre volontés, s’il a toujours suivi ses instincts sans les juger, que fera-t-il lorsque se présentera la tentation, et elle se présentera fatalement ?… Ne va-t-il pas, lui aussi, être pris au dépourvu s’il ne s’est jamais entraîné, s’il ne s’est jamais imposé à lui-même des sacrifices « factices », artificiels, tout comme les pompiers de tout à l’heure auraient été pris au dépourvu par l’incendie s’ils ne s’étaient d’abord entraîné dans des exercices artificiels ?

Oui, pour nous, il y a deux raisons pour nous imposer des sacrifices « artificiels », spécialement durant ce temps de grandes manœuvres qu’est le Carême.

La première, c’est qu’aucun de nous ne peut se dire innocent. Nous avons tous derrière nous un passé de défaillances et de péchés. Or, d’où viennent ces défaillances, qu’est-ce qu’un péché ? C’est une défaillance dans notre amour de Dieu et du prochain… Cet amour n’a pas été assez fort pour nous faire renoncer à telle ou telle satisfaction égoïste qui n’était pas en harmonie avec ce double amour, que ce double amour condamnait. Comment pouvons-nous réparer si ce n’est en prenant une revanche et en montrant dans les faits que cet amour est capable maintenant de nous faire renoncer à telle ou telle satisfaction qui nous serait permise… Rappelons-nous le principe du grand théologien, Saint Thomas d’Aquin : nous montrons d’autant plus d’amour à quelqu’un que, pour lui, nous sommes prêts à sacrifier des choses qui nous tiennent plus à cœur. C’est là, pour nous, une première raison de faire pénitence.

La seconde, la voici. Si nous nous imposons des pénitences factices, artificielles, surérogatoires, comme de jeûner, de nous priver de telle gâterie, c’est – comme dans le cas d’exercice des pompiers – pour entraîner notre volonté, pour l’avoir bien en main, si je puis dire. Si nous ne fortifions pas notre volonté, si elle reste « mollusque », comment pourrons-nous vivre en chrétiens ? Jésus nous a bien dit que ce sont les « casse-cou » qui emportent le ciel d’assaut (Saint Matthieu, ch.1l, v.12) ! On n’y va pas en « se baladant en DS ! » C’est un peu plus compliqué, un peu plus difficile, il y faut des efforts et c’est pour ça que ça vaut le coup ! Voyez la joie qu’il y a quand on a réussi un examen ou une compétition, ou une ascension difficile. L’effort, ça paie ! Mais il faut s’y entraîner, s’y entraîner par des efforts artificiels pour avoir l’élan voulu quand un effort obligatoire se présentera… C’est le but de nos pénitences de Carême.

Enfin j’ajoute une troisième motivation de notre jeûne et de nos privations.

Ils nous permettent de communier un tout petit, petit brin à la souffrance de ces deux tiers de l’humanité qui ne mangent pas à leur faim, de comprendre un tout petit peu mieux cette souffrance et de mettre de côté les économies qu’elles nous permettent de faire pour soulager un peu cette faim, selon la formule donnée déjà au Ve siècle par le pape saint Léon le Grand : « Que les restrictions de celui qui jeûne servent au repas du pauvre… »

Enfin au désert, Jésus a été tenté.

Jésus au désert

Saint Marc, dans le passage de cet évangile, dit seulement que le Seigneur a été tenté. Saint Matthieu et saint Luc nous décrivent, eux, les trois tentations que Jésus a eu à subir et qui résument toutes celles qu’il rencontrera tout au long de son ministère.

La première : Jésus a jeûné 40 jours. Il a faim et le diable lui suggère de mettre son pouvoir divin au service de son corps en changeant en pain les pierres du désert. Jésus refuse net : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ! ». Attention nous aussi de ne pas nous laisser prendre par cette tentation à laquelle tant et tant succombent aujourd’hui, d’employer tout leur temps, toutes leurs forces uniquement à satisfaire leurs besoins matériels, à promouvoir uniquement le mieux être matériel. Travaillons, comme le demandera Jésus aux Capharnaïtes lors de son sermon sur le « pain de vie », non pas seulement pour la nourriture périssable, mais pour la « nourriture qui demeure en vie éternelle » (Saint Jean, ch.6, v.27). Nous avons aussi une vie spirituelle, qui, elle, est éternelle, à entretenir. Sachons pendant ce temps de Carême nous réserver quelques instants pour une sainte lecture, un brin de méditation et de prière ! Essayons même là encore, d’en contracter l’habitude…

Deuxième tentation du Christ : Jésus est allé au Temple, sans doute pour prier. Il est monté jusqu’au sommet de la tour. Alors, le démon lui suggère : « Jette-toi en bas les anges te porteront entre leurs mains, comme le dit le psaume ! Tu épateras la galerie et gagneras les applaudissements de la foule. – Non ! Je ne tenterai pas Dieu ! Je ne chercherai pas à épater la galerie et je n’obligerai pas Dieu à faire un miracle inutile, mais humblement, comme tout le monde, je prendrai l’escalier pour redescendre ! » Voilà, en réalité, une double tentation qui nous guette, nous aussi. Nous évader de nos humbles tâches quotidiennes en ambitionnant, en rêvant de faire des choses grandioses… Ou encore nous évader de notre devoir d’état en nous réfugiant dans la prière. Sans doute nous ne pouvons rien sans Dieu et nous devons prier constamment, je le disais tout à l’heure, mais Dieu ne veut pas encourager notre paresse en nous remplaçant, en nous dispensant de faire de notre côté tout ce que nous pouvons ou tout ce que nous devons… Donc, durant ce Carême, fidélité plus grande encore, fidélité pliante à notre devoir d’état. Mettons plus d’amour de Dieu et de nos frères dans tout ce que nous avons à faire ! Nous ne pouvons rien sans Dieu, mais Dieu ne peut rien sans nous, tout comme l’instrument ne peut rien sans la main qui le manie, comme celle-ci ne peut rien sans l’instrument…

Troisième tentation : « Vois, dit Satan, vois ce panorama, vois toutes ces cités, toutes ces bourgades. Tout cela m’obéit parfaitement, tout cela est à moi. Rentre dans mon jeu, obéis-moi, toi aussi, adore-moi et tout ce monde sera aussi à toi, tout le monde sera chrétien ! »

C’est bien là, par excellence la tentation d’aujourd’hui : se mettre à l’unisson du monde, penser, agir comme tout le monde, se mettre au diapason de ceux qui nous entourent, être à la page, quoi ! se laisser mener par « le Prince de ce monde » ! Combien aujourd’hui cherchent à ramener le christianisme à ce niveau-là ! Ainsi on recrutera facilement, ainsi on pourra dire, on le dit en effet, que tout le monde est chrétien !

Mais Jésus est venu pour bouter dehors le « Prince de ce monde » (Saint Jean, ch.12, v.31 – ch.16, v.33). « Arrière, Satan ! »

C’est notre rôle ne l’oublions pas, à nous aussi ! Saint Paul, qui nous dit pourtant que Dieu veut sauver tous les hommes (lère à Timothée, ch.2, v.4), ne cesse de répéter dans toutes ses épîtres à ses chrétiens : « Autrefois vous viviez à la mode des païens, mais maintenant il faut changer complètement, retourner sa veste, se convertir. » Saint Pierre, dans sa première lettre dont nous lisions un passage tout à l’heure, demande aux chrétiens d’avoir une conduite qui tranche totalement avec celle des païens, une conduite qui confonde tous ceux qui les calomnient et du reste, s’ils sont tournés en ridicule, voire persécutés à cause de cela, qu’ils tiennent le coup à l’exemple du Seigneur Jésus-Christ. Il nous dit, vous venez de l’entendre, que l’Eglise dans laquelle on entre par le baptême est cette arche de Noé qui surnage et nous sauve de ce déluge de boue dans lequel le monde est englouti… Alors certains vont s’exclamer : « Mais quel orgueil de la part des chrétiens de se croire au-dessus des autres ! » Je réponds que la stricte justice demande que l’on exige davantage de ceux qui ont reçu davantage. Dès lors, si nous qui avons la veine, la chance, la grâce de connaître le Christ, nous ne sommes pas mieux que les autres, alors nous sommes bien plus coupables qu’eux… Nous sommes même au-dessous d’eux et ils ont le droit de nous mettre sous leurs pieds, de nous piétiner, comme l’a dit Jésus lui-même en parlant du sel qui perd sa saveur et ne combat plus la pourriture du monde (Saint Matthieu, ch.5, v.13). Donc nous ne pouvons absolument pas être au niveau des autres sans commettre une injustice ou nous surnageons, ou nous sommes au-dessous, beaucoup plus coupables…

Là encore, profitons de ce Carême pour retrouver notre saveur notre ferveur et remplir ainsi dans tous les lieux et les milieux où nous sommes engagés, ce rôle de sel et de ferment que le Seigneur nous a fixé.

A la suite de Jésus, par conséquent, faisons un Carême de prière, sachons nous imposer quelques sacrifices surérogatoires pour réparer et pour nous entraîner, réservons quelques courts instant à la lecture ou à la méditation, mettons plus de ferveur et d’amour dans l’accomplissement de notre devoir d’état quotidien. Loin de nous mettre au diapason du monde et d’obéir à son Prince, soyons-y le sel qui combat la pourriture et le ferment qui fait lever toute la pâte !

A tous, bon Carême !
père Jean de Féligonde

2 commentaires sur « Le Carême »

  1. Bonjour jean-Pierre en résumé, après la lecture de ton billet, je me suis dit qu’il fallait toujours prier Dieu, ce que je fais, pour demander de l’aide, pour qu’il m’envoie le St Esprit pour éclairer ma route, Pour ce, je passe par la Ste Vierge et ste Thérèse de l’enfant Jésus, , elles remettent ma prière dans les mains de Jésus et c’est Lui qui la donne à Dieu, j’ai vraiment besoin de prier car cela m’apaise , je me remets entre les mains de Dieu. je n’oublie pas dans mes prières de remercier Dieu pour toutes les grâces qu’Il m’a données à ce jour, oui la prière est importante, par contre réciter le chapelet, je dois dire que cela ne m’arrive pas souvent, je préfère le dialogue, tu sais combien je suis bavarde! bisous et bonne journée MTH

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